jeudi 23 septembre 2010

La nouvelle constitution Kényane, un heureux précédent pour les institutions en Afrique sub-sahélienne ?

“L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais de fortes institutions.” C’est ainsi que le Président Barack Obama s’adressait au parlement Ghanéen lors de sa visite à Accra en 2008. Cette phrase pourtant courte porte en elle la clef du développement pour le continent africain selon moi. L’adoption par référendum de la nouvelle Constitution kényane le 4 août dernier est l’illustration parfaite des mots prononcés par le président américain.

Nous nous souvenons des évènements qui ont marqué ce pays en 2008 : Après l’élection de Mwai Kibaki à la magistrature suprême en 2007, des violences éclatèrent dans le pays. Sur fond d’opposition politique entre les partisans du candidat élu, et ceux de son opposant, se tramait en réalité des affrontements ethniques qui firent plus de 1000 morts, et causèrent le déplacement de 250 000 personnes. La communauté internationale s’est mobilisée sur la question,et Kofi Annan fut envoyé comme médiateur. Un accord de partage de pouvoir fut signé entre les deux protagonistes, l’Accord National et Acte de Réconciliation, créant un gouvernement de coalition, présidé par Odinga en tant que Premier Ministre. C’est ainsi que le processus vers l’adoption d’une nouvelle Constitution fut enclenché. Deux ans plus tard, un texte que l’on peut saluer pour sa teneur juridique, est approuvé à une très large majorité par les Kenyans (67,5 %). 



Ce texte est intéressant à tous points de vue, et c’est la raison pour laquelle je dois avouer être surprise du peu d’écho qui lui aura été accordé dans les médias français. Juridiquement, la nouvelle Constitution, tout en maintenant un régime présidentiel, offre des limitations au pouvoir Exécutif, augmentant par la même ceux du législatif : un Sénat est créé, une procédure de destitution du président est prévue, et l’Assemblée Nationale doit approuver les nominations de ministres. On retrouve là une application stricte de la théorie de Montesquieu. Un nouvel échelon administratif est créé, facilitant ainsi une gestion locale. En outre, le nouveau texte ouvre une garantie des droits des citoyens grâce à la proclamation d’une Charte de droits fondamentaux, et grâce à la création d’une Cour suprême.

Mais ces règles ne peuvent avoir de réelle efficacité si aucune volonté politique n’est manifestée. C’est à ce niveau que se situe la réelle possibilité de changement : l’adoption de la nouvelle constitution a été rendue possible grâce à une pression extrême exercée par la communauté internationale et par la société civile kényanne sur les deux camps au pouvoir. Si cette dernière profite de ce rapport de force favorable, et maintient la pression sur les dirigeants, c’est seulement à cette condition que pourra être assurée la mise en application et le respect du texte par les gouvernants. Concrètement, une des solutions serait que la société civile kényanne tire profit des moyens technologiques à sa disposition. Et ce pays, encore une fois, jouit d’une avancée considérable en la matière : je donnerais deux exemples.

Le premier concerne un outil qui existe depuis 2006 : il s’agit du blog Mzalendo ; celui-ci permet aux citoyens kenyans de suivre et de commenter l’activité de leurs parlementaires, dans le but de pouvoir juger leur action. C’est une mise en application de la notion de RESPONSABILITE ( ou ACCOUNTABILITY), notion dont la généralisation et la systématisation sont nécessaires pour assurer le respect des règles établies, et la pérennité de celles-ci.
Le deuxième exemple, un peu plus connu, servira à montrer comment à travers sa société civile, toute la population Kényanne a été scrupuleusement associée au processus constitutionnel : Sur le modèle d’Ushahidi (signifiant “témoignage” en kiswahili, il s’agit d’une plateforme participative créée en 2007 pour permettre aux citoyens de signaler les incidents ayant lieu pendant les évènements sanglants qui ont traversé le pays) une équipe de jeunes activistes blogueurs kenyans a développé Uchaguzi, une version customisée d’Ushahidi permettant aux électeurs de signaler tout incident électoral ayant lieu le 4 août 2010, jour du référendum constitutionnel. Grâce à cet outil, une autre notion, importante en démocratie, venait trouver sa place dans le paysage politique : celle de TRANSPARENCE.



Bien sûr, nous n’avons pas assez de recul pour savoir si oui ou non tout cela aura porté ses fruits, mais je pense qu’il était important de saluer cette avancée, et encourager celles qui se profilent. Surtout, cela nous permet de sortir de la spirale afropessimiste qui anime encore nombre d’africains eux-mêmes.